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30 mars 2020
Dans l’article précédent, nous nous sommes interrogés si la force majeure pouvait être invoquée pour suspendre ou mettre fin à l’exécution des obligations contractuelles en raison de l’épidémie de Coronavirus. Nous avons démontré que la réponse à cette question dépend de nombreux facteurs. Pour cette raison, nous consacrerons la deuxième partie de notre série d’articles à un autre mécanisme, l’imprévision, qui a été introduit en droit français par la réforme de 2016 [1].
En effet, l’imprévision, aussi appelée “hardship”, peut servir de justification à l’inexécution des contrats en cas de situations épidémiques telles que le Covid-19.
Pour commencer, nous expliquerons le concept de l’imprévision en droit français (I) qui est supposé régir le contrat commercial international (II). Ensuite, nous présenterons son application dans le contexte actuel d’épidémie de Coronavirus (III).
1. Qu’est-ce que l’imprévision (hardship) ?
Le Code civil français définit l’imprévision dans son article 1195. En droit français, une partie à un contrat conclu à partir du 1er octobre 2016 peut demander à son cocontractant de renégocier les termes du contrat si un changement de circonstances, imprévisible au moment de la conclusion du contrat (1), rend son exécution excessivement onéreuse (2) et si cette partie n’a pas accepté de supporter les risques d’un tel changement de circonstances (3). Les trois conditions ci-dessus sont donc nécessaires pour que l’imprévision produise ses effets.
Contrairement à la force majeure, en cas d’imprévision, l’exécution du contrat ne devient pas impossible pour l’une des parties, mais le coût de cette exécution devient excessivement élevé.
Il convient toutefois de noter que les parties peuvent également avoir adapté spécifiquement la disposition légale de l’imprévision à leur situation particulière ou avoir convenu de renoncer aux dispositions légales sur l’imprévision qui auraient pour conséquence de supporter sur les parties les risques d’un coût excessif d’exécution en raison d’un changement imprévisible des circonstances.
En outre, par opposition à la force majeure qui permet la suspension ou la résiliation du contrat, en cas de clause de hardship, il existe de nombreuses issues possibles. Si l’autre partie refuse la négociation ou si la discussion échoue, les parties peuvent alors soit résilier le contrat à une date et dans des conditions dont elles conviennent, soit convenir de demander à un juge d’adapter le contrat aux nouvelles circonstances. En outre, si les parties ne parviennent pas à un accord dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre des parties peut s’adresser au juge afin de réviser les termes du contrat ou de le résilier, à une date et aux conditions déterminées par le juge. Toutefois, il est essentiel que, pendant la négociation, les parties continuent à exécuter les obligations du contrat.
2. L’imprévision dans le cadre les contrats commerciaux internationaux
Bien que l’imprévision n’ait été introduite dans le Code civil français que récemment, elle était déjà utilisée dans les contrats commerciaux internationaux. L’article 6.2.2. des principes d’UNIDROIT [2] définit l’imprévision comme une situation où la survenance d’événements modifie fondamentalement l’équilibre du contrat, à condition que ces événements répondent à des exigences données :
a) les événements se produisent ou deviennent connus de la partie lésée après la conclusion du contrat ;
b) les événements ne pouvaient raisonnablement pas être pris en compte par la partie lésée au moment de la conclusion du contrat ;
c) les événements sont indépendants de la volonté de la partie lésée ; et
d) le risque des événements n’a pas été assumé par la partie défavorisée.
La même définition est fournie par les principes du droit européen des contrats dans son article 6.111.
Comme il a été mentionné pour la force majeure, lorsque le droit français régit la relation contractuelle et que celle-ci concerne la vente transfrontalière de marchandises, nous nous référerons à la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM), lorsque son application n’a pas été explicitement exclue par les parties contractantes. Il apparaît cependant que l’imprévision ne soit pas couverte par la CVIM.
Bien que les tribunaux français n’aient pas encore eu à se prononcer sur l’application de la CVIM dans le contexte des ventes internationales de marchandises, on peut imaginer que leur décision serait similaire à celle de nos voisins belges. Dans l’affaire Scafom International [3] de 2009, la Cour suprême belge a appliqué l’article 79 [4] de la CVIM en déclarant que “un changement de circonstances qui n’était pas raisonnablement prévisible lors de la conclusion du contrat et qui est incontestablement de nature à aggraver la charge de l’exécution du contrat peut, dans certains cas, constituer un “empêchement” au sens de la convention”.
Ainsi, on peut conclure qu’il est très probable que le tribunal français inclurait également la difficulté dans le champ d’application de l’article 79 de la CVIM, afin de suivre l’art. 7(a) de la CVIM et de combler les insuffisances du traité de manière uniforme avec les principes généraux qui régissent le droit du commerce international [5].
En tout état de cause, la probabilité d’admettre l’imprévision est renforcée par le fait que la seule alternative possible à l’utilisation de l’article 79 dans les contrats internationaux de vente de marchandises serait justifiée par l’article 7(b) de la CVIM qui suppose l’application de la loi applicable en vertu des règles du droit international privé, ou celle convenue dans la disposition contractuelle. Ainsi, en cas d’application de la loi française, il convient de revenir vers les termes de l’article 1195 du Code civil français précité.
3. L’imprévision et la pandémie du Coronavirus
Dans le cas où la pandémie du COVID-19 et les mesures qui en découlent ne rempliraient pas les conditions pour être qualifiées d’événements de force majeure, mais rendraient néanmoins à une partie l’exécution de ses obligations contractuelles plus onéreuse, à notre avis cette partie pourrait prétendre au bénéfice de l’imprévision.
Toutefois, l’article 1195 du Code civil français n’ayant pas été suffisamment interprété, nous ne disposons pas d’indications claires sur l’application de cette disposition. Ainsi, la formulation du contrat est ici cruciale : si le contrat est muet sur ce point, alors les juges seront libres d’interpréter les termes de l’article 1195 du Code civil français. Certaines questions peuvent concerner l'”imprévisibilité” – à savoir si la pandémie du COVID-19 et les mesures de prévention qui y sont liées étaient “imprévisibles” pour les parties à des contrats conclus à un moment où il était de notoriété publique que le COVID-19 avait commencé à se propager, ou si le prix est “excessivement excessif”.
Compte tenu de ce qui précède, pour les entreprises qui envisagent de notifier la volonté d’appliquer l’imprévision ainsi que pour les entreprises qui reçoivent ces notifications, il est important de réviser l’accord en question, ainsi que les autres contrats liant les parties. Il est également rappelé que pour évaluer toute situation contractuelle, une analyse factuelle spécifique est nécessaire.
Des aspects plus pratiques de l’examen d’un accord contractuel international dans cette situation critique d’épidémie de Coronavirus seront présentés dans la troisième partie de cette série d’articles. En attendant, l’équipe juridique de Verne Legal reste à disposition pour assister toutes les entreprises dans leurs relations contractuelles ainsi que sur les autres mesures obligatoires s’appliquant aux entreprises ayant leur activité en France.
Verne Legal se tient disponible pour conseiller toutes les entreprises sur leur situation contractuelle ainsi que sur les autres mesures obligatoires applicables aux entreprises ayant leur activité commerciale en France.
Iga Kurowska Nicolas Renault
Verne Legal, Partner Verne Legal, Juriste
Verne Legal offre aux entreprises un accompagnement juridique et fiscal global en France ainsi qu’à l’international avec une sensibilisation stratégique et culturelle. Afin d’avoir plus d’informations sur le droit des affaires en France, nous vous invitons à contacter directement l’équipe du cabinet : info@vernelegal.com.
[1] Le 1er octobre 2016, l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, modifiant les dispositions du Code civil français relatives au droit des contrats et au régime général et à la preuve des obligations, est entrée en vigueur.
[2] Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international
[3] Cour de cassation de Belgique, 19 juin 2009 (Scaform International BV c. Lorraine Tubes S.A.S.) [http://cisgw3.law.pace.edu/cases/090619b1.html].
[4] En vertu de l’article 79, paragraphe 1, de la CVIM, une partie n’est pas responsable de l’inexécution d’une de ses obligations si elle prouve que l’inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté et qu’on ne pouvait raisonnablement attendre d’elle qu’elle prenne en compte cet empêchement au moment de la conclusion du contrat ou qu’elle l’évite ou le surmonte ou qu’elle en subisse les conséquences. La même disposition couvre la force majeure.
[5] Article 7(1) et 7(2) de la CVIM, tel que commentés par Harry M. Flechtner, dans “The Exemption Provisions of the Sales Convention, Including Comments on “Hardship” Doctrine and the 19 June 2009 Decision of the Belgian Cassation Court” Belgrade Law Review, Year LIX (2011) disponible en ligne à l’adresse <http://cisgw3.law.pace.edu/cisg/biblio/flechtner10.html>